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Auteurs / Amateurs

Les mots

Auteurs. Amateurs. En guise de préambule, sans doute convient-il de préciser ce que recouvrent ces deux termes dans le contexte qui nous occupe.
Les auteurs sont ici des hommes et des femmes qui ont choisi la photographie pour exprimer leur rapport au monde, leurs préoccupations, leurs états d’âme, et ceci quels que soient les chemins empruntés.
Pour ces auteurs, dont l’écriture nous conduit sur des terrains aussi variés que le documentaire ou la poésie – sans oublier la fiction ou la mise en scène –, l’essentiel consiste à développer une signature visuelle ou, pour le dire autrement, à bâtir une œuvre. Il est question pour eux de produire des images qui leur ressemblent et qui de surcroît se ressemblent entre elles. Ces photographes savent ce qu’ils cherchent et, à force, ont appris comment l’obtenir.
Par «amateurs», il ne faut pas – surtout pas! – entendre «photographes amateurs», ces hobbyistes qui se regroupent généralement au sein d’associations (l’internationale des photo-clubs) où ils rivalisent de prouesses (?) techniques et vouent un culte à l’académisme le plus désuet.
Les amateurs qui nous intéressent ici n’ont pas la moindre prétention technique ou artistique. La photographie ne constitue pour eux rien d’autre que le moyen – souvent efficace, donc satisfaisant – de garder la trace d’un moment plus ou moins heureux de leur existence. Nous avons affaire ici à la photographie domestique, familiale, amoureuse, celle de tous les jours, populaire depuis l’apparition sociologiquement et culturellement révolutionnaire du box Kodak en 1888 («You press the button, we do the rest»).
Cela fera bientôt quarante ans qu’Alain D’Hooghe consacre le plus clair de son temps à étudier, promouvoir, défendre la photographie d’auteur. De bien des manières. En la publiant, en enseignant son histoire, en écrivant à son propos, en l’exposant, en la collectionnant lui-même ou en cherchant à la faire entrer dans d’autres collections. Une passion jamais démentie.
Il aime découvrir de nouvelles images de photographes qu’il admire pour constater avec bonheur qu’une fois encore elles s’inscrivent dans un corpus à nul autre pareil. Il aime à penser que l’œuvre d’un auteur pourrait se résumer à chacune de ses photographies.
Cela fait presque aussi longtemps que, de son côté, Thierry Struvay cherche, chine, fouine, amasse, collectionne des photographies d’amateurs anonymes. Inlassablement, d’un marché aux puces à une brocante, à Bruxelles ou à New York, il feuillette de vieux albums de famille, ouvre des boîtes en fer blanc, des cartons poussiéreux, traquant la perle dont il sera dans un premier temps le seul à percevoir l’intérêt. La quête est quasi quotidienne, les efforts le plus souvent récompensés.
Impossible de définir ou de circonscrire ce qui attire le regard de l’orpailleur-collectionneur.
Dans les premiers temps, il ciblait principalement des images au contenu homoérotique. Mais il élargit bien vite le champ de ses investigations, sauvant de l’oubli des milliers de photographies qui pouvaient l’émouvoir, le faire sourire, le surprendre…
Depuis, les pépites se multiplient, sa collection compte désormais plusieurs chapitres bien distincts, comme en témoignent certains des ouvrages qui y sont consacrés (Wallet Treasures et Love & Hate & Other Mysteries – Found Altered Snapshots, tous deux publiés en 2016).
Thierry et Alain se connaissent depuis plus de trente ans, et la photographie est indissociable de leur amitié.
Cette exposition et le livre qui l’accompagne sont nés de nombreuses conversations qui ont finalement conduit à l’envie de réunir – plus que confronter! – leurs conceptions et leurs intérêts particuliers en matière de photographie.
Petite parenthèse. Leurs goûts ne sont pas monomaniaques: Thierry Struvay possède quelques tirages de photographes renommés (Mapplethorpe, von Gloeden, Ballen, Tillmans, Sidibé, Rodland,…) et, de son côté, Alain D’Hooghe chérit quelques images dont il ne sait rien outre qu’elles lui plaisent pour ce qu’elles sont.
Auteurs/Amateurs. Deux pratiques, deux approches radicalement différentes. Mais pas forcément inconciliables. Parfois même complémentaires.
À l’intelligence, au talent, à la finesse, à la culture visuelle des uns répondent la candeur, l’innocence, la spontanéité des autres.
Mais si l’auteur, dont les intentions sont claires, ne nécessite aucun regard extérieur pour que ses œuvres fassent sens, les images de l’amateur, elles, ont besoin d’un œil aguerri et bienveillant pour acquérir un autre statut que celui qui a présidé à leur existence.
Sorties de leur cadre naturel et de leur fonction première, ces images ne se révèlent dignes d’attention qu’à l’insu de ceux ou celles qui en sont à l’origine. Ce n’est pas le moindre des paradoxes, dès lors, que de les retrouver sur les pages d’un livre, aux cimaises d’une galerie ou d’un musée, dans une collection d’art. Pour cela, il aura fallu que quelqu’un, par sa seule volonté, guidé par son vécu, ses goûts et sa culture, les exhume, les mette en lumière, voie et révèle leur magie.
Loin de toute tentation de démontrer quoi que ce soit, en se gardant bien de placer les photographies des uns et des autres sur un même plan – il paraît clair que la «science» prévaut et doit prévaloir sur la «chance»! –, les deux commissaires n’ont eu ici d’autre ambition que celle de proposer des dialogues entre des univers qui n’étaient a priori pas destinés à se rencontrer.
De confondantes similitudes formelles en ébauches d’histoires mystérieuses, voire carrément effrayantes, de pièces invitant à de bien improbables puzzles en charades énigmatiques, de cadavres exquis en situations cocasses, de voisinages audacieux et de parentés contre nature en scénarios accidentels, il n’est finalement question ici que d’un hommage à la fois vibrant et souriant à la photographie.
Un hymne sans emphase à son incontestable richesse et à son infinie diversité.

Les photographes


Dialogue entre photographies d’auteurs représentés par la box galerie et clichés d’amateurs anonymes choisis dans la collection de Thierry Struvay.

La presse