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Les couleurs de la vie

Bernard Plossu

Les mots

«J’aime à dire qu’on ne prend pas de photos, mais que les photos vous prennent.»
«Si j’ai toujours beaucoup voyagé, je ne suis pas pour autant un photographe du voyage, de la même façon que je ne suis pas un photographe du flou, ni un photographe du Midi. J’ai horreur de toutes ces étiquettes. Le premier voyage initiatique a eu lieu pour moi à l’âge de treize ans, au Sahara où mon père m’avait emmené, et peut-être que, devenu adulte, je n’ai fait que chercher à retrouver ce voyage-là.»
«En photographie, on ne capture pas le temps, on l’évoque. Il coule comme du sable fin, sans fin, et les paysages qui changent n’y changent rien.»
Bernard Plossu

Vous n’êtes pas un photo-reporter?
Non, mais est-ce que finalement tout n’est pas du reportage? Mes photos poétiques, elles sont vraies, ce ne sont pas des mises en scène, ou ces photos de mode faussement cool avec des mannequins au milieu de roulottes… Mes photos sont naturelles; elles sont telles quelles, elles viennent du monde réel. Je ne fais que photographier ce que je vois vraiment, ce qui est là.
Vous êtes un photographe romantique?
Non, classique-moderne.
Vous aimez voyager?
Je suis plus un photographe qui a vécu à l’étranger qu’un photographe qui a voyagé. Quand on vit dans un pays, les choses viennent lentement. Mais aucun pays n’est idéal, il faut toujours aller là où les routes s’arrêtent, où il n’y a plus rien, juste pour voir.
On vous considère parfois comme un photographe de famille.
J’ai trois étiquettes: photographe de famille, de voyage, et du flou. Flou, c’est la plus fréquente, on croit que j’ai la maladie de Parkinson, mais je m’en fous, je m’en flous même! À l’époque, j’avais répondu que j’avais l’âme floue. À l’heure où la lumière baisse, tu baisses ta vitesse et tu passes du 125e au 15e de seconde, et là, c’est un peu plus flou. Ou alors, les choses passent au 15e de seconde, et tu les devines comme un passage. Le vrai flou, c’est le dérèglement de la netteté; moi, ce n’est pas du flou, mais un mouvement. Il m’arrive aussi de prendre des photos de une ou dix secondes de temps de pose, la nuit, quand tout est noir. Je m’arrête de respirer. C’est la respiration qui fait bouger l’appareil. Mais je ne respire pas avec l’appareil photo, ce n’est pas un masque.
Pourquoi photographier?
Parce que je ne sais rien faire d’autre. Et que je suis comme au premier jour, émerveillé.
Propos recueillis par Brigitte Ollier (in Couleur Fresson)

«Au Mexique (en 1966), j’ai photographié en noir et blanc, ce qui a donné Le voyage mexicain, mais aussi en couleurs. J’ai eu immédiatement le coup de foudre (pour le procédé Fresson), je ne m’attendais pas à ce qu’un tirage restitue aussi fidèlement les couleurs et l’ambiance du moment. C’est le papier mat qui permet cette sensation; avec le papier brillant, pour moi, c’est trop clinquant. Avec Fresson, pas de couleurs agressives et chaque tirage est unique, il y a presque du relief. On effleure les saisons, les arbres vibrent, le vent murmure… En un mot, Michel Fresson est mon traducteur.
(…) Je ne me vois pas comme un photographe en noir et blanc, la couleur m’inspire tout autant. Je n’ai pas d’exclusivité pour le noir et blanc, mais sans le procédé Fresson, est-ce que j’aurais fait de la couleur? Oui, mais peu.»
Propos recueillis par Brigitte Ollier (in Couleur Fresson)

«La couleur des tirages mat au charbon Fresson ne produit pas plus de réalisme ou de synchronisme avec le réel représenté, mais bien au contraire le déréalise tout en lui apportant plus de densité, de profondeur ou de substance. Souvenons-nous du passage du cinéma en noir et blanc au cinéma en couleurs: le second n’était pas plus “vrai” ou plus “réaliste” que le premier, mais plus intense et plus lumineux. Et c’est sans doute cela qui a tant attiré Bernard Plossu dans le procédé Fresson: cette intensité, cette vibration et cette tactilité proche d’une peau presque frémissante.»
Marc Donnadieu (in Couleurs Plossu)

La presse