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Timeless South

Debbie Fleming Caffery

Les mots

Debbie Fleming Caffery est originaire du sud de la Louisiane. Autant dire du sud du Sud ou, mieux encore, des profondeurs du Sud profond. Le Deep South… Un territoire unique où, plus que partout ailleurs peut-être, l’histoire et la géographie ont marqué et marquent les esprits, le mode de vie, les mentalités. La manière d’être, de voir, d’appréhender le monde. Mais le passé et la topographie ne suffisent pas à expliquer combien cette région des Etats-Unis est étrange, hors normes, hors du temps.
Bob Dylan, dont on connaît la fascination pour le Deep South, décrivait récemment en quoi il est unique: «Cela tient sans doute à l’air du Sud, chargé de fantômes errants et d’esprits perturbés, hurlant désespérément. C’est comme s’ils étaient pris dans une toile étrange, un purgatoire entre le ciel et l’enfer, et qu’ils ne pouvaient trouver le repos. Ils ne peuvent ni vivre ni mourir. Comme s’ils avaient été fauchés dans la fleur de l’âge et qu’ils tentaient d’entrer en contact avec nous.»
Ces quelques mots pourraient convenir aux pages les plus hallucinées de Faulkner ou de Flannery O’Connor, aux blues d’outre-tombe de Blind Willie Johnson, aux clichés oniriques de Clarence John Laughlin.
Et sans doute tenons-nous là une clé indispensable pour pénétrer l’univers de Debbie Fleming Caffery.
Pendant longtemps, le rayon d’action de la photographe s’est volontairement limité à quelques kilomètres carrés. La famille, la maison au bord du bayou Teche, les activités liées à la culture de la canne à sucre, les champs que l’on embrase et qui font monter dans le ciel leurs senteurs douçâtres et entêtantes, une vieille femme noire rencontrée par hasard, les pêcheurs et les trappeurs des marais avoisinants, les eaux trompeuses, faussement paisibles,…
Des sujets a priori anodins, transcendés par la vision poétique d’une photographe funambule. Chacune de ses images porte en elle le bien et le mal, l’ombre et la lumière, le sacré et le profane. «L’esprit et la chair», comme l’indique le titre de son plus récent ouvrage.
La bible dans une main, un gri-gri dans l’autre. Le mojo fait valoir ses droits.
Depuis une quinzaine d’années, Debbie s’est littéralement immergée dans un autre microcosme: un petit village mexicain où l’essentiel de la vie communautaire se déroule entre l’église et le bordel!
Elle y retrouve certains des éléments qui l’attiraient déjà lorsqu’elle opérait près de chez elle – la coexistence de sentiments et d’impressions que l’on pourrait croire antinomiques – tout en découvrant un autre vocabulaire qui fait la part belle à la sensualité. Mais, toujours, elle joue de cette dualité, de cette confrontation entre des extrêmes qu’elle s’emploie à réunir.
Après le Sud profond, c’est dans un autre sud qu’elle nous entraîne à sa suite. Cette fois, Chavela Vargas chante l’amour impossible tandis que, perdu dans les vapeurs de tequila et de mezcal, Geoffrey Firmin, le personnage central d’Au-dessous du volcan, a rendez-vous avec son destin dans une cantina inhospitalière…
Ici comme là, vices et vertus, clarté et ténèbres, douceur et violence…

La presse