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Brooklyn / Berlin

Irina Rozovsky / Mark Steinmetz

Les mots

Née à Moscou, Irina Rozovsky (°1981) est arrivée aux États-Unis avec sa famille alors qu’elle n’était âgée que de sept ans. Elle a depuis fait sienne la culture américaine, tout en gardant par certains aspects un regard particulier sur cette société qu’elle observe tout à la fois de l’intérieur et de l’extérieur. Toujours avec empathie, comme nous envisageons tous ceux qui nous accueillent plutôt qu’ils nous rejettent.
La jeune femme photographie volontiers loin de chez elle – en Israël, à Cuba, en Macédoine pour ne citer que trois pays qui ont donné lieu à des projets au long cours, voire à des publications – mais c’est en voisine qu’elle a photographié pendant une dizaine d’années Prospect Park, le plus vaste espace vert de Brooklyn.
Véritable poumon de l’arrondissement le plus peuplé de New York, inauguré dans la deuxième moitié du 19e siècle, peu de temps après Central Park que l’on doit aux mêmes architectes, ce parc immense constitue le rendez-vous des communautés les plus disparates, un terrain de jeux ou un but de promenade pour des millions d’habitués. On s’y retrouve en famille, entre amis ou amants, pour un pique-nique ou une partie de pêche. On y ballade son chien, on y pratique le violon ou le farniente, on y fait de la barque, de la luge ou des bonshommes de neige.
Habituée des lieux, Irina Rozovsky y a vu comme une métaphore du melting pot américain, comme si la ville et le pays tout entier s’y retrouvaient concentrés sur quelques kilomètres carrés. S’y côtoient tous les âges, toutes les classes sociales, toutes les religions, toutes les origines.
Elle a donc patiemment et systématiquement arpenté Prospect Park à toutes les heures, quelle que soit la saison, posant sa lourde chambre sur trépied sur les pelouses et dans les allées, sur les berges des lacs et dans les sous-bois, réalisant des images aux couleurs souvent chatoyantes, qui tiennent tout autant du portrait en situation que du paysage ou encore de la scène de genre.
Pas d’instantanés fortuits – le mode opératoire de l’autoriserait pas –, rien n’est enregistré à l’insu de protagonistes qui se font volontiers les complices éphémères de la photographe. Avant de retourner à leurs activités, à leurs loisirs, à leurs conversations, à leurs confidences, à leurs déclarations d’amour.
Tout cela donne lieu à un ensemble cohérent et séduisant, le tableau d’un microcosme qui fait le plus souvent figure d’éden, d’indispensable havre reposant à deux pas de la frénésie new-yorkaise.

S’il est immanquablement associé aux USA et plus particulièrement aux états du Sud qu’il photographie abondamment depuis des décennies, Mark Steinmetz (°1961) n’hésite pourtant pas à sortir de sa zone de confort pour braquer son objectif tantôt en Toscane, tantôt à Paris, tantôt en Chine ou au Kirghizistan.
Pour sa troisième exposition personnelle à la galerie, nous avons opté pour une sélection d’images réalisées à Berlin entre 2012 et 2019.
Il s’y montre fidèle à ses sujets de prédilection – ses obsessions ? –, à son vocabulaire et à sa grammaire, ces petites choses du quotidien, ces détails indicibles, cette attention au « presque rien » qui rend son écriture unique, son style reconnaissable au premier coup d’œil.
De la Porte de Brandebourg au parc Friedrichshain, des quartiers de l’Ouest à ceux de l’Est, toujours dans l’espace public, jeunes et moins jeunes semblent perdus dans leurs pensées, indifférents à ce et ceux qui les entoure(nt).
Des oiseaux griffent le ciel ou attendent, posés sur un muret ; un jeune garçon en colère exprime sa rage et/ou sa frustration d’un instant ; Mickey paraît plus dérisoire que jamais ; des amoureux se bécotent au sommet d’un mur – comme une réminiscence de scènes d’un autre temps, sur un autre Mur.
Tout est ici sujet à photographie, pourvu qu’il tourne le dos au spectaculaire.
Mark Steinmetz photographie Berlin telle qu’il l’aime et telle que nous l’aimons. Calme et trépidante, opulente et décatie. Berlin est une ville et un village. Berlin est vivante et belle. Comme le sont ces photographies subtiles, discrètes, inoubliables.

Par-delà leurs évidentes différences – impossible de les confondre – on ne peut que constater ici où là quelques similitudes entre les images de l’une et de l’autre. Une même attention aux petits moments, à « l’hors du temps », un même sens de la juste distance, une même vision volontiers romantique du monde. Des poésies sinon semblables, à tout le moins issues d’une même tradition.
Irina Rozovsky et Mark Steinmetz forment un couple et ont fondé une famille. « Qui se ressemble s’assemble » veut le dicton… Mais la question subsiste : se sont-ils assemblés parce qu’ils se ressemblaient ou se ressemblent-ils désormais qu’ils se sont assemblés.
Peu importe sans doute. L’essentiel tient dans leur talent, dans le bonheur qu’ils nous procurent à travers leur regard sur le monde.

 

La presse