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Chroniques de passages

Israel Ariño

Les mots

Pour cette deuxième exposition personnelle du Catalan Israel Ariño (°1974, Barcelone) à la galerie, nous avons choisi de présenter deux séries récentes, distinctes, certes, mais qui s’inscrivent dans la grammaire immédiatement identifiable de son œuvre.
Deux séries datant de 2019, l’une réalisée au Japon (The Okama Paradox), l’autre (Au gré du courant) au fil de l’Èvre, un affluent de la Loire serpentant en Vendée.
Deux territoires. Deux immersions relativement brèves mais profondes, sans hâte, avec le souci constant de faire corps avec le paysage, ses matières, ses éléments. Avec ou sans présences humaines, mais toujours à hauteur d’homme. Rien de spectaculaire. Des références discrètes, subtiles, autant à la littérature qu’à l’histoire de la photographie.
Comme à son habitude, l’artiste est attentif à tous les détails, à tous les éléments qui formeront son propos. De la rigueur du cadrage à l’objet final encadré avec précision, en passant par le format « intime » et le soin méticuleux apporté au tirage, rien n’est laissé au hasard et fait montre d’une maestria à toutes les étapes de la création.
Mais laissons la parole à l’auteur…

Au gré du courant

“Tant de mains pour transformer ce monde, et si peu de regards pour le contempler!”
Julien Gracq, Lettrines

«Pendant hiver 2019, j’ai parcouru l’Èvre, un affluent de la Loire en pays vendéen, sur les traces des Eaux étroites de Julien Gracq, la dérive poétique d’un homme de 71 ans revisitant des images surgies de l’enfance. Reprenant l’idée d’un voyage initiatique, j’ai proposé une réflexion sur les fragments du roman et mes propres émotions.
Ainsi, la série Au gré du courant est une exploration au fil de l’Èvre, portée par un même sentiment poétique et géographique du monde sensible, où se dévoilent les moments d’exception qui emmènent le lecteur dans ce monde illusoire et symbolique. C’est à travers l’intérêt de Gracq pour les représentations d’espaces agissant comme véhicule pour l’imagination que la série aborde l’idée du voyage.
Les images de cette promenade naviguent sur des thèmes du passage entre le rêve et la vie, le sentiment d’appel du paysage, le voyage sans idée de retour ou le silence flottant sur l’eau. La série conduit le lecteur à une lenteur particulière, au retour en arrière, à la flânerie, à la contemplation des détails d’une géographie. Il s’agit finalement de considérer le paysage comme un objet de perception exprimant autant des expériences que des émotions présentes et passés.»

The Okama Paradox

“Et il est où, exactement, ce Japon?
Par là, toujours tout droit. Jusqu’à la fin du monde.”
Alessandro Baricco, Soie

«En 2019, grâce à une exposition à la Tosei Gallery à Tokyo, j’ai eu l’occasion de visiter le Japon pour la première fois, curieux de partir à la découverte d’une culture que je connaissais que par les livres et de marcher sur les pas de photographes que j’admire: Issei Suda, Shoji Ueda, Nakaji Yasui…
Le Japon m’a permis de me plonger dans une expérience triple: la vie, la photographie et le voyage.
Je ne souhaitais pas faire du documentaire, mais explorer un langage visuel nouveau, différent, revenant aux origines de la photographie: la forme, la lumière, les tonalités… En définitive, je voulais évoluer, explorer d’autres possibilités, élargir mes champs de recherches.
Alors, j’ai tenté des procédures différentes. Plutôt que de porter mon attention sur le visible, j’ai cherché l’invisible: les moments de contemplation, ceux où il ne se passe rien, les formes qui nous renvoient à des éléments originels, les infimes indices qui nous suggèrent une réalité beaucoup plus large.
J’ai vécu la confrontation à la richesse de cette culture comme un privilège. Je me suis senti comme l’un de ces premiers voyageurs en quête d’aventures personnelles, découvrant un pays pour la première fois.
Rêver d’une image idéale, c’était peut-être ça le but de mon enquête. Alors, je me souviens d’un passage du carnet de Clara: on dit que juste ici, là où on se trouve, il y a le cratère d’Okama, mais si on ne le voit pas, comment peut-on être sûr qu’il existe?»

 

La presse