Les mots
Au cœur de cette exposition d’Israel Ariño (Barcelone, 1974), la première à Bruxelles, nous trouvons la quasi-totalité des images qui constituent sa série la plus récente, intitulée La pesanteur du lieu. Dans le livre qui accompagne cet ensemble, une mention nous apprend que ces images ont été réalisées en octobre et novembre 2016 dans le cadre d’une résidence d’artiste au Domaine de Kerguéhennec, dans le département du Morbihan. Soit. Pour autant, nous n’apprendrons rien de ce territoire, sinon que l’auteur l’a arpenté, comme il en avait arpenté d’autres auparavant, qu’il en arpentera de nouveaux au cours de sa vie. Rien de particulier, rien qui différencie ce lieu d’un autre, voire de tous les autres. L’essentiel, bien sûr, tient au regard que le photographe pose sur les choses, quelles qu’elles soient, bien plus que sur les choses elles-mêmes. Le lieu est secondaire, le regard est singulier, à nul autre pareil.
Tout semble se dérouler entre chien et loup, dans un univers d’où la franche clarté serait bannie. Le spectateur doit s’y reprendre à deux fois, redoubler d’attention, consacrer le temps nécessaire pour distinguer ce qui lui est offert. Rien ne se dévoile au premier coup d’œil. Tout, par contre, s’imprime à jamais sur nos rétines. Chacune de ces petites photographies, discrètes et élégantes, servies par des tirages somptueux, pourrait bien s’avérer inoubliable, s’insinuant en nous comme un délicieux poison.
À des degrés divers, les mêmes “imprécisions” géographiques valent pour de précédentes séries également montrées ici – de manière plus fragmentaire -, comme Le nom qui efface la couleur (2014), fruit d’une autre résidence, cette fois dans le parc naturel régional de la Brenne, au centre de la France, ou encore Atlas (2006-2012) qui réunit des vues glanées çà et là.
Mais, une fois encore, qu’importe. Les lieux se valent, interchangeables et uniques tout à la fois.
Ariño ne nous montre rien de très précis, il se joue de notre capacité à localiser, à reconnaître, à identifier avec certitude. Ou plutôt à notre incapacité à le faire. Il nous plonge avec délice dans l’indistinct, dans des ambiances crépusculaires, nous prenant par la main pour ensuite nous laisser livrés à nous-mêmes, n’ayant d’autre solution que le recours à nos propres souvenirs ou à notre imaginaire.
À nous finalement de nous raconter nos histoires à partir de ces éléments quelque peu mystérieux – inquiétant? -, de relier ces fragments poétiques au départ de ces cartographies éparses.
Un sein et une épaule de femme, puis leur miroir. Des arbres, d’étonnantes antilopes flottant dans l’espace d’un lieu confiné. Un enfant couché sur une meule de foin. Une main posée sur un visage. Encore des arbres, des feuilles, quelques fleurs. Une chouette qui nous scrute avec étonnement et bienveillance. Des histoires à n’en plus finir.