Les mots
Que se passe-t-il entre deux paupières? La vue n’est pas uniquement une fonction physiologique.
Juan Manuel Castro Prieto nous rappelle que, de la même manière que l’on peut regarder sans voir, on peut voir sans regarder, pour peu que l›on fasse appel à nos souvenirs, à notre imagination, à nos rêves…
Qu’est-ce qui différencie la vue de la vision, la voyance du voyeurisme… Que voyons-nous, que percevons-nous les yeux fermés? Où finit le réel, où débute l’apparence? Ce qui apparaît devant nous, sont-ce des objets ou des ombres, des projections de ces objets? Sommes-nous condamnés aux chaînes de la Caverne ou sommes-nous à même de nous en affranchir?
Depuis toujours, le photographe madrilène interroge ces notions essentielles.
Maîtrisant le médium photographique comme peu de ses contemporains pourraient y prétendre, il dispose ainsi d’une palette particulièrement étendue pour étayer son propos, pour rendre tangibles ses questionnements les plus fondamentaux.
Aucun obstacle technique ne peut l’arrêter, le détourner de son but ultime, en l’occurrence produire des images qui fassent sens, chacune destinée à enrichir un univers singulier fait d’obsessions multiples, d’une volonté sans faille d’ouvrir d’autres voies, de partager ses fantasmes tout autant que ses doutes ou ses éblouissements.
L’œuvre est à coup sûr protéiforme. Comme surgie d’un cerveau en constante ébullition. Castro Prieto aborde des genres différents, embrasse de nombreuses thématiques, passe du nu au portrait, du paysage à la mise en scène, du proche au lointain… En ne se gênant jamais s’il convient de tordre le cou aux poncifs. Il est question ici de pénombre ou d’aveuglante clarté, là d’une réalité basculée, oscillant entre le net et le flou. Ne nous fions pas aux apparences, tout peut se révéler trompeur.
Longtemps, il nous a habitués à un noir et blanc aux nuances des plus subtiles.
C’est désormais principalement en couleur qu’il s’exprime avec le même souci qu’auparavant de dominer toutes les étapes de son processus créatif. De la prise de vue à l’encadrement, rien n’est laissé au hasard, l’artiste se doublant d’un artisan hors norme.
Cet art est un art de références, de réinterprétation, de réappropriation.
Castro Prieto parcourt l’histoire de l’art avec cette fois une prédilection pour la peinture baroque et plus particulièrement pour la nature morte. Vanités, floreros, fruteros… Revus et corrigés, réinventés, actualisés. Couleurs chatoyantes, luxuriantes, profusion de détails, d’éléments à la symbolique quasi universelle. Mélange étonnant de respect et d’irrespect.
Et puis ces ors, ces ors improbables en photographie, ces ors véritables dont l’auteur a enrichi ses tirages, ces ors qui nous engloutissent, nous font tourner la tête.
Cette exposition est réalisée en collaboration avec la galerie VU’ (Paris)
Elle est accompagnée de l’ouvrage Sucedió entre dos párpados (Ediciones Anomalas)