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Comme un rêve

Juan Manuel Castro Prieto

Les mots

Pour cette première exposition de Juan Manuel Castro Prieto (Madrid, 1958) à la galerie, nous avons choisi de présenter deux séries parmi les plus emblématiques d’une œuvre tout à la fois diverse et cohérente.
La première, Perú, viaje al sol, est le fruit d’une dizaine de périples au Pérou, entrepris entre la fin des années 1990 et le début des années 2000.
Avant même d’être connu comme photographe, Castro Prieto était apprécié et salué comme un véritable magicien de la chambre noire, réalisant dans son atelier madrilène des tirages d’exposition et de collection pour nombre d’auteurs de renom.
D’une certaine manière, c’est son savoir-faire de tireur qui se trouve à l’origine de son histoire d’amour avec l’ancien empire inca; en effet, c’est en répondant à la demande d’un éditeur espagnol qu’il s’y est rendu pour la première fois, en l’occurrence pour travailler sur les archives de Martín Chambi, le célèbre paysagiste et portraitiste péruvien, actif des années 1920 aux années 1950 et dont les négatifs étaient réputés “intirables”. Les épreuves proposées par Juan Manuel firent pourtant l’unanimité auprès des spécialistes, à tel point qu’il est depuis le seul habilité à en réaliser pour le compte des héritiers du “maître de Cuzco”.
C’est en même temps pour mettre ses pas dans ceux de Chambi que sous l’influence d’écrivains comme Vargas Llosa, José Maria Arguedas, Ciro Alegría ou encore César Vallejo que Castro Prieto choisit de parcourir le Pérou – à ses yeux autant un mythe qu’une réalité -, armé d’une lourde et encombrante chambre 20×25, travaillant à un rythme rappelant celui des pionniers du médium, un mode opératoire qui correspond bien à son processus créatif volontiers tourné vers le passé.
Les négatifs de très grand format confèrent aux images une précision et une richesse de détails réellement spectaculaires, le résultat final encore magnifié par la virtuosité des tirages.
Par ailleurs, les jeux de bascules autorisés par la caméra amènent des aberrations optiques qui ouvrent le champ à une forme bien particulière, à un entre-deux où le documentaire tend vers le rêve.
L’onirisme est encore plus présent et évident dans l’autre opus présenté ici, Extraños (Étranges), série plus introspective où les nus côtoient les portraits, les paysages ou encore les natures mortes.
Naturellement attiré par l’incongru, surtout lorsqu’il surgit du banal et du quotidien, Castro Prieto nous invite avec Extraños à partager – non sans inquiétude! – quelques-unes de ses obsessions: la nostalgie de l’enfance et de ses mystères, le sexe, la mort. Rien que de très universel…
Mais, par bien des aspects, qu’importe le sujet, qu’importe le lieu de prise de vue…
Les photographies de Castro Prieto nous entretiennent principalement de la photographie elle-même, de la manière unique dont elle accomplit d’incessants allers-retours entre réalité et fiction, dont elle se joue des apparences.
L’auteur nous convie à nous émouvoir et à nous émerveiller avec lui devant la matière photographique au sens strict, tirant parti de sa fragilité comme de tout l’éventail de ses possibilités formelles.
Le tout avec un brio qui ne laissera personne indifférent.

La presse