Les mots
Cela peut sembler paradoxal au vu de certaines de ses images mais, d’une certaine manière, Larry Fink considère la plupart de ceux et celles qu’il photographie depuis plus d’un demi-siècle comme des beautiful people.
Qu’il faille ou non prendre l’expression au pied de la lettre mérite néanmoins que l’on se pose la question…
Ayant grandi dans une famille progressiste et après avoir étudié un temps avec Lisette Model, c’est naturellement que, dès l’aube des années 60, le photographe met sa pratique au service du documentaire et, plus précisément encore, qu’il privilégie les sujets sociaux ou sociétaux.
Il n’a pas 30 ans lorsque, en 1970, John Szarkowski lui met véritablement le pied à l’étrier en incluant plusieurs de ses images dans une exposition collective au MoMA, où il dirige le département photographique. À partir de là, tout s’enchaîne: d’autres expositions, en solo cette fois, aux cimaises du MoMA ainsi qu’à celles des plus importants musées américains et européens.
Ce succès, il le doit sans doute à une adéquation parfaite entre le fond et la forme.
Depuis longtemps indissociable de sa signature visuelle, c’est l’utilisation du flash de reportage qui constitue l’une des caractéristiques essentielles de l’œuvre de Larry Fink.
L’esthétique développée et mise en place par le photographe est immédiatement identifiable – et a depuis fait école – sans que jamais on ne puisse soupçonner cet univers de verser dans l’esthétisme. Ce qui prévaut reste le propos, la forme n’étant là que pour aider à sa lecture et à sa compréhension.
Tantôt uppercut, tantôt caresse, l’éclair du flash taille dans la scène, révèle au grand jour ce qui restait tapi dans la pénombre, fige le plus fugace des instant tout en conférant à l’ensemble une douceur inattendue.
La première monographie de Larry Fink, Social Graces, demeure l’un des ouvrages majeurs de l’édition photographique du 20e siècle.
Y sont réunis des clichés montrant des spécimens des classes new-yorkaises les plus aisées, en représentation dans leurs activités mondaines: soirées caritatives, vernissages sélect, sorties dans les clubs les plus exclusifs. Smoking et robes longues, sourires carnassiers, poses convenues. Ce qui n’exclut ni l’hébétude no, parfois, le désarroi.
À cela, le photographe propose un judicieux contrepoint, qui donne toute sa substance à la série. La seconde partie du livre nous entraîne en effet dans le quotidien des Sabatine, une famille d’ouvriers qu’il a rencontrés après s’être installé à Martins Creek, un minuscule village perdu de Pennsylvanie orientale. Les canettes de bière en lieu et place du champagne millésimé, les gâteaux d’anniversaire hypercaloriques en guise de petits fours. Et une gestuelle aux antipodes de celle rencontrée chez les nantis.
Sans se départir de son habituel sens critique, Fink a néanmoins clairement choisi son camp.
À la suite de Social Graces viendront d’autres séries, elles aussi fruit d’immersions prolongées dans des univers aux codes bien marqués.
Il y aura ainsi Boxing, pour lequel Fink hantera les abords des rings mais plus encore les petites salles d’entraînement de Philadelphie, préférant les pugilistes anonymes aux champions.
Puis viendront Runway, sur les coulisses des grands défilés de haute couture et Somewhere There’s Music, compilation d’images dont la musique – l’autre passion du photographe – constitue le fil rouge, qu’il s’agisse de jazz, de classique, de rock ou de blues.
Enfin, dernier album en date, The Vanities, principalement consacré aux soirées de remise des Oscars de ces dix dernières années.
Ce qui réunit ces différents essais peut se résumer à quelques constantes: l’attachement empathique du photographe à une omniprésente sensualité et sa capacité à capter les signes émanant des corps, l’ensemble de ceux-ci constituant un langage universel.
Après cinquante années de prises de vues et presque autant d’enseignement dans les meilleures écoles, Larry a peut-être abandonné quelques-unes de ses illusions de jeunesse – des photographies, aussi honnêtes et exceptionnelles fussent-elles, ne rendront pas notre monde meilleur – mais il n’a rien perdu de sa détermination – il faut persévérer, faire comme si tout restait possible.
Jeunes beatniks sur les traces de Kerouac, membres de la gentry new-yorkaise, prolétaires bougons ou goguenards, boxeurs de l’ombre, top models, saxophonistes de génie, stars hollywoodiennes… Tous humains.
La beauté des êtres réside souvent dans les yeux de celui qui les regarde. Et si ce regard est bienveillant, il s’agit assurément de beautiful people.