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The Beats

Larry Fink

Les mots

En 1958, lorsqu’il réalise ces images, Larry Fink n’est pas photographe. Il ne sait même pas qu’il le deviendra un jour, pas plus qu’il sera unanimement salué comme l’un des plus importants de son époque. Il ne peut évidemment pas se douter que cinquante-sept ans plus tard, le 26 février 2015, l’International Center of Photography (New York) lui décernera un Infinity Award, récompense suprême à laquelle ne peuvent prétendre que les meilleurs.
En 1958, Larry a dix-sept ans. C’est un adolescent en colère, rebelle, rétif à toute forme d’autorité.
Après à peine deux mois, il a abandonné ses études au Coe College, dans l’Iowa. Mais, de retour à New York, pas question de réintégrer le foyer familial à Long Island et il s’installe dans un minuscule appartement de Greenwich Village, au sud de Manhattan. À lui la vraie vie! Lire de la poésie, traîner dans les boîtes de jazz, c’est bien plus enrichissant qu’user ses fonds de culotte sur les bancs de l’université.
C’est dans le Village, à l’époque véritable épicentre de la contre-culture, qu’il rencontre une bande de jeunes marginaux, tous un peu plus âgés que lui, regroupés autour de l’incontestable figure tutélaire de Turk LeClair, peintre et poète, chien fou, beau comme un Ange de la Mort. Il y a là Robert, Mike, Mary, Randy, Kid, Ambrose,… Ils ont lu Sur la route de Kerouac, Howl de Ginsberg, écoutent Miles, Coltrane, Bird. Beatniks de la seconde génération, ils adoptent les préceptes de leurs aînés en refusant l’American Way of Life. On s’enivre de vin bon marché, la marijuana «ouvre la conscience», les amphétamines mettent tous les sens aux aguets et retardent le besoin de sommeil.
Larry est toléré plus qu’intégré dans le groupe: ses idéaux marxistes apparaissent à ses comparses comme un dogme dans lequel ils ne se reconnaissent pas plus que dans les autres. Mais il dispose d’un atout : l’appareil photographique dont il ne se sépare jamais et qui lui permet de documenter leur vie et leurs aventures, leur conférant une réalité concrète. Tout en flattant leur narcissisme.
Les rues de New York ne suffisent bientôt plus. Il est temps de prendre la route, d’adhérer plus encore à la philosophie beat. On s’entasse dans deux vieilles Oldsmobile pour traverser le pays, direction le Mexique. En chemin, il y aura des étapes plus ou moins longues dans l’Ohio, à Chicago, dans le Missouri, au Texas. Le voyage tient plus de l’errance que du périple touristique.
Spectateur plutôt qu’acteur, restant toujours à la périphérie, comme retranché derrière son Rolleiflex, Larry remplit son rôle de témoin privilégié, enregistrant d’innombrables petits moments où le désœuvrement semble au cœur des choses.
En 1958, Larry Fink n’est pas encore photographe, mais l’essentiel de ce qui caractérise son œuvre à venir est déjà là, «naturellement»: la juste distance, des compositions à la fois complexes, audacieuses et évidentes, un sens aigu du moment juste et de l’image métaphorique, emblématique.
Pour Larry, l’odyssée prend fin à Laredo, à la frontière américano-mexicaine, lorsqu’il est arrêté en possession de quelques grammes d’herbe alors qu’il tente de rentrer au pays. Il est condamné à cinq années de mise à l’épreuve, ce qui – de son propre aveu – s’avèrera déterminant pour le tour que prendra sa vie.
Le retour à New York se double d’un (relatif) retour à la raison. Peu après, il décide de suivre les cours de Lisette Model.
La suite de l’histoire est connue…