Les mots
La fascination que le Sud des États-Unis exerce sur Marina Cox remonte au premier voyage qu’elle y entreprit, en 1991. Comme un parcours initiatique à travers la Louisiane et le Mississippi avec, déjà, du coton et de la mousse espagnole, du blues et des fais-dodo, des demeures patriciennes et des cabanes misérables.
Elle en ramena quelques-unes des photographies – alors en noir et blanc – qui forgèrent sa réputation.
Vingt et vingt-cinq ans plus tard, elle y est retournée, s’immergeant à nouveau dans cet univers qui s’est avéré tout autant familier qu’apparemment immuable et intemporel.
Tournant résolument le dos aux soi-disant «incontournables», délaissant les grands axes pour musarder au gré des routes secondaires et des chemins de traverse, la photographe a privilégié l’anodin, le trivial, ce qui touche de plus près à la culture vernaculaire. Pas de Graceland ni de Beale Street à Memphis, pas plus de steamers descendant paresseusement la rivière que de balcons en fer forgé dans le Vieux Carré de la Nouvelle-Orléans… À leur place, des cimetières perdus, des rues vides, des boutiques poussiéreuses. Et, toujours et partout, des croix dressées aux lisières des bois, des bannières étoilées sous toutes leurs formes. Omniprésence du patriotique et du religieux, fallacieux ciment d’une société parfois inconsciente de sa dérive.
Le rêve américain n’est plus qu’un rêve. Auquel plus personne ou presque ne semble croire. L’heure est plutôt au carpe diem, à la débrouille. Voilà pour l’essentiel de la réalité.
Mais il y a aussi ce que chacun espère trouver ou retrouver dans cette région à l’histoire et aux histoires si riches, si dramatiques, si chargées de mystères et de paradoxes.
Nourrie de cette littérature, de cette musique, de ce cinéma, de cette photographie originaires du Deep South, Marina Cox ne peut échapper – et c’est tant mieux! – à ces références plus ou moins inconscientes, à ce qu’elle sait et connaît avant même de le voir et de le montrer. Ce monde ne s’aborde pas innocemment, il ne s’agit en aucun cas d’une terra incognita.
Ses photographies se lisent dès lors comme des pages de Faulkner ou de James Lee Burke, s’écoutent comme des blues de Jessica Mae Hemphill ou de R.L. Burnside, se regardent comme celles de Walker Evans ou de William Eggleston.
Ces images nous rappellent que la vérité (?) des choses se niche souvent dans les détails dont on ne perçoit pas l’importance au premier coup d’œil.
Marina Cox a sans doute compris l’essence même des multiples aspects de ce Sud traversé de contradictions, pliant sous le joug des injustices ou la fureur des éléments* mais ne se soumettant jamais à la fatalité et renaissant à chaque fois qu’on le prétend moribond.
Même écaillées, passées, délavées, les couleurs restent éclatantes sous un ciel annonçant une tempête qui ne surprend personne; et lorsque le ciel vire au bleu, d’invisibles mains y dessinent des nuages pour lui donner du relief.
À Tutwiler, une petite fille se promène sur une voie ferrée où ne passe plus aucun train.
Dans le juke joint de Red, à Clarksdale, les accords de guitare de Robert Belfour sont éternellement suspendus dans la moiteur de l’air.
Le Sud est décrépit, déliquescent, mais sa beauté rappelle celle du magnolia qui, même fané, ne perd rien de son attrait.
*qui n’a pas traversé les orages estivaux du Mississippi ne peut entendre l’expression «pluies diluviennes»!