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K-Ville

Mark Steinmetz

Les mots

Après À la croisée des chemins (2014), cette nouvelle exposition que nous consacrons au travail de Mark Steinmetz (New York, 1961) réunit une sélection d’images extraites de ses deux derniers ouvrages, Fifteen Miles To K-Ville (2016) et Past K-Ville (2018).
Il s’agirait donc pour le photographe d’explorer, ou à tout le moins de parcourir un territoire.
À ceci près que K-Ville n’existe pas… Pas la peine d’ouvrir un atlas ou de déplier une carte routière, vous n’y trouveriez pas trace de cet endroit fictif, tout droit sorti de l’imagination de Steinmetz, qui en a fait comme un résumé symbolique de n’importe quelle petite ville du Sud des États-Unis, de la même manière que William Faulkner avait en son temps inventé de toutes pièces le comté de Yoknapatawpha, dont il avait fait le théâtre de plusieurs de ses romans et nouvelles.
Mark Steinmetz fait assurément partie des artistes qui se sont nourris – et se nourrissent encore – de ce qui s’est fait avant eux et se fait toujours aujourd’hui.
Né aux Etats-Unis d’une mère française et d’un père hollandais, Steinmetz a naturellement embrassé le meilleur des deux cultures, l’américaine et l’européenne.
Sa photographie se retrouve dès lors dans une sorte d’entre-deux, fruit d’un mariage harmonieux entre le cérébral et le sentimental, entre l’appréhension intellectuelle et la vision romantique du monde.
Distillées au compte-gouttes, à tel point qu’elles n’apparaissent qu’en filigrane à l’œil averti, ses influences sont aussi nombreuses que diverses; on évoquera Stieglitz, Strand, Evans, Friedlander, Winogrand, Eggleston tout autant qu’Atget, Cartier-Bresson, Kertész, Sander ou encore Boubat. Et, bien sûr, les repères ne sont pas que photographiques. Cette œuvre est également littéraire et cinématographique (l’auteur considère d’ailleurs que la photographie et le cinéma sont des formes de littérature).
À l’arrivée, le spectateur est confronté à une vision singulière, à des images qui n’appartiennent qu’à Mark Steinmetz, qui n’auraient pu être réalisées par nul autre que lui.
Il ne procède pas à proprement parler par séries, pas plus qu’il ne s’astreint à des thématiques précises.
L’appareil en bandoulière, il sort de chez lui sans chercher quoi que ce soit de particulier, ouvert à ce que le monde voudra bien lui offrir. Sans idée préconçue mais suffisamment réceptif, attentif, alerte. Il sait qu’il convient de mériter ce qui se présente, pour en tirer le meilleur profit. Et qu’il convient tout autant de posséder les outils – le talent – pour ordonnancer, donner du sens et de la cohérence à ces petits cadeaux de la vie.
C’est donc au gré des rencontres que se bâtit l’œuvre, vue après vue. Des rencontres avec des humains mais aussi avec des maisons, des rues, des routes, des paysages, tous appréhendés comme des sujets – au contraire d’objets –, comme des individus.
L’espace d’un instant, le photographe s’immisce dans leur existence, sans véritable intrusion cependant. Puis chacun poursuit sa route. Entre-temps, dans le meilleur des cas, le charme aura opéré, une image aura surgi, témoin de cette brève et fortuite rencontre.
Et ne nous y trompons pas: cette apparente simplicité requiert la plus grande des maîtrises.

La presse