Les mots
Maude Schuyler entama sa série de portraits en couleurs – la plupart rassemblés dans Mississippi History, la monographie parue chez Steidl au printemps dernier – après que William Eggleston, son cousin, lui eût offert dans les années 1970 le Rolleiflex qu’elle continue d’utiliser aujourd’hui.
Outre ce cadeau déterminant, Eggleston invita également sa jeune cousine à l’assister dans son propre parcours de photographe. Au fil d’errances dans Memphis et le Mississippi, cet apprentissage lui apprit à s’attarder aux choses triviales, à préférer le quotidien à l’exotique, l’apparemment banal au spectaculaire.
Maude est née et a grandi dans le Delta du Mississippi, cette région aux terres fertiles et à l’histoire riche de rebondissements dramatiques. Le coton y a fait le bonheur de quelques-uns et le malheur de nombreux autres. Le blues y est né. Les plaisirs les plus raffinés y côtoient les pulsions les plus primaires. La guerre de Sécession y a fait des ravages, le Ku Klux Klan y a semé la terreur, la lutte pour les droits civiques y a écrit quelques-unes de ses pages les plus douloureuses et les plus marquantes.
Le temps semble s’y être arrêté il y a longtemps déjà, une bonne fois pour toutes.
Jeune adulte, avide d’horizons plus larges, Maude Schuyler s’est installée à New York pendant plus d’une décennie, y travaillant dans une galerie renommée puis comme photographe et éditrice pour des magazines aussi prestigieux que Vanity Fair, Fortune ou Esquire…
Mais la torpeur du Sud, la senteur capiteuse des magnolias, les eaux dormantes du bayou Cassidy reprirent finalement leurs droits et, donnant ainsi raison à l’adage selon lequel on ne se rend compte de son attachement à l’endroit d’où l’on vient que lorsqu’on en a été éloigné (trop) longtemps, Maude rentra “chez elle”, entraînant son mari Langdon Clay dans son irrévocable décision de réinvestir la maison familiale.
Cette bâtisse, construite par son grand-père en 1911, lui tient désormais lieu de camp de base. Une fois encore, il est question de rester fidèle à l’histoire.
L’essentiel de Mississippi History s’attache aux proches de la photographe, que cette proximité soit familiale, amicale, géographique ou, plus généralement encore, véritablement historique.
Partant de l’intime pour accéder à l’universel, Maude Schuyler Clay nous entretient de bien des histoires à partir de la sienne et de celle de ceux qui l’entourent. Il y est question de rapports et de sentiments humains, d’histoires qui s’entremêlent et qui, prises ensemble, font l’Histoire.
À l’évidence, pour Maude l’ex-assistante d’Eggleston, la couleur est un élément indissociable du discours, de même que l’on retrouve chez l’un comme chez l’autre cet équilibre fragile entre l’instinct et l’intellect, entre le sensuel et le cérébral.
On y décèle aussi ce lyrisme “gothique” propre au Sud profond et qui renvoie immanquablement à la prose de deux immenses écrivains natifs – comme elle – du Mississippi, Eudora Welty et William Faulkner.
Lorsqu’elle opère en extérieur, Maude Schuyler Clay privilégie les lumières de fin d’après-midi, quand les ombres s’étendent et que les rayons d’un soleil couchant nimbent les êtres et les choses d’un voile doré et bienveillant.
Au fil des images, on retrouvera son mari et leurs enfants, d’autres membres de la famille, quelques anonymes, quelques artistes célèbres comme William Eggleston, bien sûr, mais aussi Lee Friedlander et Richard Ford (qui signe par ailleurs le texte d’introduction de Mississippi History).