Les mots
Le voyageur qu’est Michael Kenna ne parcourt pas le monde pour le découvrir, pour connaître les moeurs et coutumes de telle ou telle population, ni pour additionner les visites de musées, d’églises et autres temples sacrés ou profanes ; il le parcourt pour le photographier, autant dire pour inscrire son regard photographique – qui n’est pas neutre – dans ses terres d’élection. Plutôt que de voir le monde tel qu’il est, de façon réaliste, il le décante, l’épure. Il exclut d’autorité tout personnage de son objectif, ainsi que les signes de la modernité. Pas d’automobiles, pas d’enseignes, pas d’affiches
publicitaires, pas de signalétiques…
Qu’il privilégie ici le graphisme de formes architecturales ou végétales bien découpées, là l’atmosphère vaporeuse d’une ville de légende ou d’un paysage marin ou champêtre, il s’extrait du présent et accède à l’intemporel. Il transforme les lieux qu’il affectionne, comme Bill Brandt et Josef Sudek, deux de ses maîtres, l’ont fait originalement avant lui, pour offrir ses images à la contemplation méditative, à la rêverie.
Né et éduqué en Angleterre, Kenna vit aux États-Unis depuis 1977, sans que son pays d’adoption ne soit jamais devenu l’une de ses sources d’inspiration majeures. De San Francisco hier, de Portland aujourd’hui, ce citoyen du monde ne cesse de partir, souvent pour deux ou trois semaines, et de revenir, pour faire ses tirages qui comptent autant que ses prises de vue.
Sa vision du monde est dans son regard si sélectif, certes, mais aussi dans ses mains, tellement l’épreuve photographique finale, gamme subtile de gris ou contrastes renforcés, dépend de sa réussite à la créer telle qu’il l’imaginait, telle qu’il la voulait.
En même temps qu’il communique spirituellement avec les lieux qu’il photographie, le fascinant Mont-Saint-Michel, l’énigmatique site de Stonehenge ou le Japon immuable des estampes, Kenna se les approprie.
Paysagiste cultivé, ultrasensible et imaginatif, il mêle son art au leur, jusqu’à ce qu’il s’imprègne magnifiquement en eux.