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doux-amer

Michel Vanden Eeckhoudt

Les mots

«Toute l’humanité du monde est contenue dans le regard de ce chien.» Voilà bien un cliché usé jusqu’à la corde. Mais ce cliché peut servir de métaphore pour évoquer l’humanité du regard que Michel Vanden Eeckhoudt pose sur ce même monde depuis déjà une quarantaine d’années.
En formidable fabuliste des temps modernes, et ce depuis les Zoologies des années 1970, Vanden Eeckhoudt a souvent pris la tangente qui consiste à braquer son objectif sur l’animal – et sur notre rapport complexe et parfois ambigu aux animaux – pour nous parler de nous.
Avec la finesse, la rigueur et la subtilité qui ont toujours caractérisé son travail, le photographe a développé une écriture qui puise aux sources du documentaire moderniste sans jamais pour autant trébucher sur les conventions imposées (parfois à leur corps défendant) par les maîtres du passé.
Quoiqu’indéfinissable, voire même réductible à quelques formules, sa signature visuelle n’en demeure pas moins immédiatement reconnaissable: il suffit d’un coup d’œil pour s’apercevoir, face à une image inédite, que l’on se trouve bien en «son» territoire.
Néanmoins, pour lisibles qu’elles soient, ces photographies ne dévoilent pas toute leur richesse au premier coup d’œil. Il faut y revenir, s’y attarder pour en savourer toute l’intelligence.
Loin de l’événement et de l’actualité, Michel Vanden Eeckhoudt nous emmène dans des promenades sans but apparent sinon celui de nous faire voir la vie comme elle se déroule au quotidien, avec ses instants de grâce éphémère, ses petits accidents tragi-comiques, ses étonnantes correspondances formelles.
Curieuses alchimies que ces images où le tendre répond au dérisoire, où le tragique succède au comique comme les deux faces indissociables d’une même pièce. On peut trouver amusantes certaines de ces photographies, mais le sourire se fige bien vite, laissant la place à des sentiments plus sombres. Il est alors question de solitude, d’inadéquation, de difficulté à communiquer autrement que par rapports de force.
Même les images apparemment les plus simples, celles où tout semble tenir sur un même plan, retiennent l’attention et ne s’épuisent pas à des lectures répétées. La photographie de Vanden Eeckhoudt, évidente et immédiate, est riche aussi d’un équilibre ténu et maîtrisé, d’une géométrie qui paraît naturelle mais dont nous savons que seul un œil aguerri peut l’isoler d’un ordonnancement par essence chaotique. Et, à ce sens du cadrage, on peut adjoindre celui du mystère, puisque rien ici ne dévoile dans l’instant toute la subtilité de son contenu.
Tout en murmures, en virtuosité discrète – une petite musique qui tient plus de la sonate que de la symphonie – le répertoire habituel de Michel Vanden Eeckhoudt mêle ironie, humour et empathie.
Récemment, cette palette s’est enrichie de touches plus sombres. L’heure semble plus grave que par le passé, le monde tourne de moins en moins rond, et le photographe rend compte à sa manière de cette réalité où le tragique l’emporte bien souvent.
Le titre du livre et de cette exposition apparaît dès lors tout à la fois explicite et on ne peut plus adéquat: doux-amer, oui, et l’amertume prend volontiers le pas sur la douceur.
C’est sans doute quand on ne l’assène pas qu’on s’approche le plus de la vérité. Michel Vanden Eeckhoudt a choisi des chemins de traverse; il recourt à ses mélodies aux accents parfois grinçants et à ses petites histoires sans paroles pour nous parler de la vie.

La presse