Les mots
Après Zoologies (2007) et Doux-Amer (2013), cette exposition est la troisième que la galerie consacre aux œuvres de Michel Vanden Eeckhoudt.
C’est aussi la première depuis sa disparition en mars 2015, voilà un peu plus d’un an.
Une exposition en forme d’hommage, donc, placée sous le signe de la famille et de l’amitié.
Avec Mary, son épouse et complice, nous avons choisi une vingtaine d’images, réalisées entre 1974 et 2011 et qui rendent compte de l’étendue du talent de Michel.
Des photographies qui nous paraissent indispensables, connues pour la plupart comme des “classiques” dont on ne se lasse pas.
Des images à voir et à revoir, des images à vivre, qui illuminent le quotidien.
Que dire encore des photographies de Michel Vanden Eeckhoudt, qu’en dire qui n’ait été dit et écrit à maintes reprises?
Le plus judicieux consiste peut-être à lui laisser la parole, en reprenant un entretien qu’il nous accordait en 2000, à l’occasion de la publication de Duo et de sa première rétrospective parisienne.
Quinze ans plus tard, ses propos demeurent aussi pertinents et lucides…
Vous souvenez-vous des raisons qui vous ont amené à choisir la photographie et donc à entreprendre des études dans ce sens ?
On ne peut pas parler de vocation dévorante. J’aimais bien les appareils photo, le fait de saisir un instant et, d’autre part, j’étais alors passionné de voitures de course et j’avais envie de les photographier. Pendant mes études à la Cambre, j’étais d’ailleurs plus souvent en reportage au bord des circuits automobiles qu’à l’école, ce qui m’a peut-être donné les bases du photojournalisme. Je ne pense pas que les études de photo soient encore une étape indispensable, en tout cas d’un point de vue technique. Ce qui peut être bénéfique, c’est l’émulation entre les étudiants.
Que retenez-vous néanmoins de ces années d’apprentissage ?
Ces études me paraissaient trop longues, pas assez denses, à l’exception des interventions de Jean-Pierre Sudre qui chaque année, pendant quatre jours, nous apportait les dernières nouvelles de Paris mais surtout nous faisait réaliser un livre, de la prise de vue à l’objet final, relié. Il m’a appris l’importance du choix sur la planche-contact et du tirage, insistant aussi sur la lumière et le rapport du photographe à son sujet.
Votre bibliothèque est bien fournie en livres de photographie. C’est important de voir ce que font les confrères, de savoir ce qui a été fait dans le passé ?
C’est un plaisir, puisque la photographie est ma passion, mais cela m’est un peu moins indispensable que par le passé. Déjà, tant de livres sont aujourd’hui publiés qu’il est difficile de suivre cette actualité, d’autant que leur existence est de plus en plus éphémère. C’est bien de connaître les bases, mais aussi de s’en détacher et de construire son propre langage.
De quels photographes vous sentez-vous proche ? Qui admirez-vous ?
En tout premier lieu, bien sûr, Cartier-Bresson. Pour établir une comparaison avec la musique, il est à la fois Bach et Stravinsky. Il incarne tout autant les fondements de la photographie que l’avant-garde. Je le trouve toujours très audacieux, d’une pertinence extrême, d’une compréhension universelle remarquable. À mes yeux, il a toutes les qualités. Sinon, Koudelka, Frank, Friedlander, Arbus, Winogrand, mon ami Hugues de Wurstemberger sont d’autres photographes que j’admire.
De quoi d’autre nourrissez-vous votre travail ?
J’ai été très longtemps un cinéphile assidu. À part ça, je lis le journal, quelques livres, et j’essaie de rester concentré !
Les premières photographies que l’on connaît de vous, publiées dans Chroniques immigrées, témoignent d’un engagement social et politique très marqué. Par la suite, vous semblez avoir pris un peu de distance par rapport à ce militantisme. Considérez-vous que votre photographie reste de nature politique ?
Ce premier reportage était sans doute plus strictement journalistique que ce que je fais depuis. Il y avait un travail d’enquête préalable aux images, des interviews, un questionnement constant par rapport à ce qui devait ou non figurer dans la série, bref un ensemble de choses qui mobilisaient à peu près 70% du temps et de l’énergie. Le photographe pouvait être un peu frustré et par la suite, j’ai effectivement privilégié des sujets moins “engagés”. Mais ce qui m’intéresse avant tout dans la photographie, ce sont les gens. Le monde est là, devant nous, il nous appartient de le faire parler, de montrer ce qui se cache derrière les apparences. Notre matériau de base, c’est la réalité et la question consiste à déterminer ce que nous en faisons.
Qu’est-ce qui vous a attiré vers les jardins zoologiques?
Le côté théâtral. Cet univers est un peu immuable, très codifié. Les animaux sont les acteurs, leur cage ou leur enclos rappellent la scène et le public reste bien à sa place, de l’autre côté des barreaux. Lorsqu’ils découvrent une ville, certains visitent d’emblée le musée des beaux-arts, d’autres le quartier chaud ou un cimetière ; moi, systématiquement, c’est par le zoo que je pars à la rencontre d’une ville. Je suis certain d’y entrer en contact avec la vie des familles, d’y trouver mon bonheur de photographe : le contraste entre la douceur des formes, la sensualité des animaux confrontées à la dureté artificielle des décors. C’est aussi un monde de l’illusion, du reflet, une fausse réalité.
Considérez-vous votre série sur les chiens comme un prolongement des Zoologies?
La série sur les chiens s’est construite de manière plus informelle, au fil des voyages et des promenades. Mais, fils d’un professeur de biologie et d’une assistante sociale, c’est naturellement qu’à travers le chien, je parle du maître. C’est évidemment le rapport de l’homme à l’animal qui m’intéresse.
Vos images sont souvent empreintes d’humour. Est-ce par pudeur, pour ne pas aborder le monde de front, ou par ironie que vous cherchez les situations un peu incongrues ?
Je considère l’humour comme un registre très riche pour peu qu’il ne se limite pas au gag anecdotique. On peut y trouver de la tendresse, de l’ironie, de la subversion, beaucoup de critique. En faisant sourire les gens, on les amène souvent à réfléchir. Il y a toujours du tragique dans le comique, et vice-versa. Le bonheur et la douleur sont proches l’un de l’autre.
À vos yeux, qu’est-ce qui caractérise votre photographie?
Ce mélange de tendresse et de critique.
Propos recueillis par Alain D’Hooghe et publiés dans Le Matin le 5 octobre 2000