Les mots
De Nathalie Amand (Soignies, 1968), nous avions déjà montré les Hommages licencieux, petites vignettes érotiques en référence aux images osées circulant le plus souvent sous le manteau au 19e siècle et jusque dans les années 1960 (pensons en particulier à Molinier mais aussi à Bellmer, voire à Man Ray, mais surtout à ces innombrables opérateurs anonymes). Nous avons aussi fait la part belle à ses collages, intégrant parfois des fragments de ses propres clichés pour les associer à des illustrations extraites d’ouvrages anciens, dans la veine du surréalisme (sortes de cadavres exquis où l’on retrouve l’influence de Georges Hugnet mais surtout celle de Max Ernst et des célèbres livrets qui constituent Une semaine de bonté).
Elle a également abordé, toujours à l’aide de sa chambre technique chargée de plans-films noir et blanc, d’autres grandes thématiques comme le paysage, le portrait, la nature morte ou encore l’autoportrait.
Pour cette troisième exposition à la galerie, nous avons réuni une trentaine de portraits (?) d’oiseaux naturalisés issus des collections du musée d’Histoire naturelle de Tournai.
Le point d’interrogation accolé au terme «portraits» se justifie en ce que ces différents volatiles nous tournent presque systématiquement le dos, se rendant ainsi peu ou prou impossibles à identifier.
Tout se limite à des formes, des matières, des reflets, de subtils jeux de lumière.
Rien qui permette de reconnaître telle ou telle espèce, de déterminer si nous sommes en présence d’un animal familier ou d’un spécimen exotique. Rapace majestueux ou minuscule passereau? Palmipède ou échassier terrestre? Pas un bec (à une exception près), pas une patte pour nous mettre sur la voie, pour nous venir en aide…
Des plumages, encore et toujours. Il appartient dès lors au spectateur de faire appel à son imagination, à son imaginaire même, pour tenter d’y voir clair, de parer ces oiseaux de couleurs chatoyantes ou au contraire discrètes, aptes au camouflage.
Par ailleurs, on ne pourra manquer d’établir des parallèles, de déceler des similitudes entre le systématisme de cette série et d’autres ensembles qui ont fait date dans l’histoire de la photographie.
La frontalité, la rigueur des cadrages, l’absence de décor font immanquablement songer aux plantes inventoriées dans les années 1920 par l’Allemand Karl Blossfeldt dans Urformen der Kunst ou aux hommes et aux femmes épinglés sur fond blanc par Richard Avedon dans les années 1980, portraits cliniques réunis dans In the American West.
Chaque image de Nathalie Amand est assortie d’une légende qui, elle, identifie l’oiseau photographié. Cette information est tout à la fois utile et superflue. Bien plus que l’exactitude scientifique, que la possibilité de cataloguer, l’essentiel tient ici dans la beauté, dans l’apparente fragilité, dans le rêve auquel nous invite cet ensemble d’êtres anonymes.
Alain D’Hooghe