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natura

Bernard Descamps

Les mots

natura est le titre choisi par Bernard Descamps pour la sélection de paysages en noir et blanc qu’il présente dans cette exposition et l’ouvrage qui l’accompagne. Aucun personnage n’y figure. C’est à peine si l’on y décèle un signe d’existence humaine. Aucune trace de civilisation, aucun environnement façonné par l’homme n’y est montré. Et pourtant, bien plus que la célèbre « nature inviolée », tant recherchée et si difficile à trouver depuis la mondialisation de l’industrialisation, ses photographies reflètent à plus d’un égard la « nature» des « images » et, de ce fait, et de manière indirecte, la « nature de l’être humain ». En abordant certaines idées, des aspirations et des souhaits collectifs liés à l’environnement et à la nature, tout en s’y soustrayant, elles permettent, si on les observe bien, de découvrir une deuxième nature, une nature sociétale. Dès 1974, Descamps livrait cette définition de la photographie : « Mes photos sont plus que des documents, plus que des reproductions documentaires de lieux, de choses, d’êtres humains…Elles sont anti-documentaires, car leur nature dépasse le documentaire, il faut aller au-delà de leur signification apparemment objective. Par-delà la reproduction documentaire, ces images possèdent une dimension (poétique ?), qui peut n’avoir aucun rapport avec le sujet photographique. »
Ce que Descamps déclarait alors sur ses photographies de jeunesse, dans ses réflexions sur son art, est tout aussi valable, sinon plus, pour celles réunies ici et dont les plus anciennes remontent à 1995. Ses photographies de paysages ou, plus précisément, la nature qu’elles reproduisent, semblent échapper au temps, comme dans un rêve. Regroupées par motifs, elles comportent des vues du ciel et de la mer inondées de lumière, des chaînes montagneuses aux parois abruptes, souvent monumentales et qui semblent imprenables, des forêts ou des cimes épaisses, en partie tapissées de neige, des nuées d’oiseaux dont les volées immenses semblent étirer l’espace pictural et donnent quelquefois l’impression d’être des signes abstraits de perdition en plein ciel.
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Dans les images de Bernard Descamps, la nature semble proche de la réalité et en même temps tout à fait inconcevable ou intangible. C’est le cas, au sens littéral, des nuées d’oiseaux, formations éphémères qui traversent le ciel et remplissent le cadre. Parfois elles prennent l’apparence d’innombrables points noirs minuscules, d’un tourbillon dans un lointain infini, sans horizon. Ailleurs, la distance plus réduite permet de deviner les espèces probables. Ainsi des sternes, qui semblent se rapprocher dangereusement du spectateur, dans un mouvement d’une rapidité extrême, caractérisé en partie par le flou qui en découle.
À l’instar des nuées d’oiseaux, la forêt constitue un système sophistiqué de composantes liées les unes aux autres par synergie. Dans les photographies de Bernard Descamps, elle semble se caractériser par l’abstraction jusqu’à un certain point. (…)
Parfois, la forêt produit un effet presque mystique ; le regard se perd dans la profondeur d’une brume issue des broussailles de plus en plus épaisses. Il y a aussi ces bois de bouleaux si graciles, sauvages et tordus comme s’ils dansaient. (…)
À l’instar des Seascapes de Hiroshi Sugimoto, composés toujours sur le même mode, Bernard Descamps, affronte lui aussi la mer avec un regard photographique qui systématise. Le cadrage choisi paraît simple : le format carré, utilisé pour toutes les images de cette série, est toujours traversé par l’horizon qui sépare au milieu le ciel de l’eau. Les conditions météorologiques et les heures du jour sont cependant variables. Parfois, la mer est tranquille, sous un ciel sans nuage, et l’image est déterminée par les petites étincelles éparses de lumière sur l’eau. Il arrive qu’un ciel brumeux et la mer semblent se perdre l’un dans l’autre et qu’un léger flou donne à l’onde l’aspect d’une paroi à peine concevable, secrète et impénétrable.
Le spectateur ne sait jamais dans quel rapport spatial il se trouve face à l’immensité de la mer toujours changeante. Un repérage géographique n’est pas davantage possible. Les photographies ont été prises en France, mais aussi au Japon, en Islande et à Madagascar. Descamps ne cherche pas tant à livrer des indices sur l’espace et le lieu qu’à rendre les beautés éphémères du vent et de la mer et surtout les intensités variables de la lumière, qu’il s’agisse des taches de soleil sur les couronnes d’écume ou de la nappe sombre éclairée par la lune.
Malgré la rigueur formelle et le cadrage systématique en deux moitiés, une poésie mélancolique se dégage de cet éventail de situations marquées par le vent et la lumière. Cette poésie se situe justement dans l’écart entre les attentes peut-être inconscientes, suscitées et non assouvies. De ce fait, les photographies de Bernard Descamps renvoient au-delà du sujet représenté. Non pas d’une façon didactique, mais sur un mode plutôt onirique.

Maria Spiegel
(extrait du texte publié dans l’ouvrage natura, Filigranes, 2019)

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