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Fragments de vies ordinaires

Norbert Ghisoland

Les mots

Norbert Ghisoland (ou Guisoland, on retrouve indifféremment les deux orthographes) naît le 17 mars 1878 à La Bouverie, petit village au coeur du Borinage. Son père est mineur de fond et, comme tant d’autres de ces « damnés de la terre », il mettra tout en œuvre pour que ses enfants connaissent un sort moins funeste que le sien. Il destine son fils aîné au métier de photographe, lui achetant tout le matériel nécessaire, tandis que Norbert, le cadet, apprend la menuiserie. Mais l’aîné de ces enfants meurt accidentellement et Norbert « hérite » naturellement de l’équipement acquis pour son frère.
Après trois ans d’apprentissage chez un photographe montois, il s’installe en 1902 à Frameries, à quelques kilomètres de son village natal, dans une maison achetée elle aussi par son père. Outre les pièces d’habitation, elle abrite le magasin proprement dit, une chambre noire et, surtout, un studio de prise de vue relativement spacieux, surmonté d’une grande verrière qui permet de photographier à la lumière du jour et le plus souvent sans apport
d’éclairage artificiel. La publicité annonce d’ailleurs : « On opère tous les jours et par tous temps ».
À Frameries, Ghisoland est un homme à la fois estimé et respecté. Sa profession lui confère un statut de notable, au même titre que le médecin ou l’instituteur. Respecté mais pas craint ou méprisé comme peuvent l’être le patron, le contremaître à l’usine ou l’ingénieur des mines.
En 1938, son fils Edmond est appelé sous les drapeaux, alors que le spectre d’une guerre se profile à l’horizon. De plus en plus inquiet, tourmenté par la précipitation des événements qui agitent l’Europe – et des conséquences qu’ils pourraient avoir directement sur sa famille –, il succombe à une crise cardiaque le 3 octobre 1939, à l’âge de 61 ans.
À l’époque qui nous intéresse, Frameries vit au rythme des quatre charbonnages installés sur son territoire et qui occupent la plupart de ses habitants. Les conditions de vie sont souvent difficiles mais toutes les occasions sont propices à oublier – en tout cas à mettre provisoirement entre parenthèses – la rudesse du quotidien.
La photographie constitue alors une manière tangible de se souvenir des moments les plus heureux et les plus importants de l’existence. Ce sont avant tout les grandes étapes : le baptême, la communion, la fin des études, l’entrée dans la vie active, la conscription, le mariage, parfois le départ à la retraite. Ce peut être aussi une victoire sportive et on posera alors avec l’arc, le vélo, le pigeon associés au triomphe. Plus anodin encore, ce peut être un
complet neuf ou, comme le veut alors la mode, des robes identiques portées par des sœurs, des cousines ou des amies.
Si l’on se réfère aux numéros recensés sur les plaques négatives, Norbert Ghisoland a réalisé plus de 90 000 portraits en un peu moins de quarante ans d’activité.
L’étude de cette œuvre révèle peu d’évolution dans la méthode ou la pratique. Année après année, inlassablement, Ghisoland a appliqué les mêmes recettes héritées de la tradition, insensible aux modes, forgeant ce qui apparaît aujourd’hui comme sa signature visuelle.

La presse