Les mots
Caché derrière un épais écran de fumée – celle de sa cigarette – Keith Richards se soustrait à notre regard. Ou plus exactement, parce que c’est l’image qu’il a finalement retenue parmi d’autres peut-être plus attendues, Richard Dumas (°1961) protège son illustre modèle, l’évoquant plus qu’il ne le montre vraiment.
Même si l’essentiel de son œuvre est constitué de portraits, Dumas réfute à son propos l’appellation de «portraitiste», lui préférant celle plus générique de «photographe». En cela, il fait sienne la distinction opérée par Cartier-Bresson qui disait en substance que si la personne photographiée ne le regardait pas, on ne pouvait parler de portrait mais simplement de photographie.
Et de fait, rares sont ici les véritables face-à-face, les images où le modèle établit un contact visuel avec le photographe et, par extension, avec le lecteur/spectateur.
Emmanuelle Seigner, Christophe, Nick Cave, Bashung, Robert de Niro, Lou Doillon, Clint Eastwood, Micky Green, David Lynch, Patti Smith, Vincent Gallo, Arielle Dombasle, la troublante Célina,… Aucun d’eux, aucune d’elles ne semble se livrer entièrement, se gardant de trop dévoiler et préservant ainsi une part de mystère.
Charlotte Gainsbourg, toute de grâce, nous est offerte de profil; Jean-Luc Godard nous tourne carrément le dos; seul – ou presque – Miles Davis plonge-t-il ses yeux de braise dans les nôtres, prêt à nous envoûter…
Travaillant généralement pour la presse (Libération, Le Monde, Télérama, Les Inrocks figurent parmi ses commanditaires habituels), Richard Dumas ne se retrouve presque jamais en terra incognita: féru de rock (il fut lui-même un temps guitariste, acteur de la légendaire scène rock rennaise), de cinéma et de littérature, il a écouté les disques, vu les films, lu les livres de ceux qu’il va photographier.
Cela lui permet sans doute d’instaurer un climat de confiance, parfois même de complicité.
Monstres sacrés, légendes vivantes aussi bien que nouveaux venus dans la sphère médiatico-artistique, tous en viennent à baisser la garde, à autoriser une intrusion fugace dans leur intimité.
En s’éloignant des codes établis du portrait photographique, Richard Dumas crée des images que l’on pourrait croire saisies au vol et qui, même si elles ne furent pas prises à la dérobée, instaurent un rapport inédit entre le spectateur et ces célébrités du monde des arts.
C’est un peu comme si nous les découvrions pour la première fois tout en les connaissant depuis toujours. Nous les voyons différemment et, passée la surprise, nous sommes à même de les regarder encore et encore, au-delà de tout voyeurisme.
Richard Dumas est représenté en France par la Galerie VU’