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Outland

Roger Ballen

Les mots

Alors même que Bruxelles lui consacre une exposition d’envergure, The Theatre of the Ballenesque*, principalement axée sur ses créations les plus récentes, des œuvres faisant appel tout autant à la sculpture, à la vidéo, au dessin, à l’installation et à la performance qu’à la photographie, nous proposons pour notre part une série plus ancienne de Roger Ballen (New York, 1950), Outland, réalisée à la fin des années 1990 et publiée une première fois en 2001.
Outland apparaît à bien des égards comme un opus fondamental dans le parcours artistique de Ballen. Cet ensemble d’images constitue pour une part un pivot marquant son renoncement à une photographie strictement documentaire – sans détours ni artifices –, celle-là même qui fut l’objet de Dorps: Small Towns of South Africa et de Platteland – Images from Rural South Africa, les deux monographies dans lesquelles le photographe dépeignait les régions les plus reculées de son pays d’adoption tout en dressant le portrait de quelques-uns de ses habitants.
Avec en toile de fond des bouleversements historiques, en l’occurrence la fin de la politique d’apartheid.
S’il s’éloigne du documentaire en abordant Outland, Ballen nous convie à le suivre dans un univers fictionnel mais dont les protagonistes sont bel et bien ancrés dans le réel. Les tableaux qui se succèdent constituent une entrée métaphorique dans le sort et la vie des laissés pour compte de la société, qu’elle soit ou non sud-africaine, pour dresser peut-être un portrait grinçant, grimaçant mais jamais dénué d’empathie de la condition humaine.
Acteurs peu ou prou involontaires de scènes qui semblent tout droit issues d’une réminiscence d’un Théâtre de l’Absurde, les hommes, les femmes, les enfants (sans oublier les animaux !) qui peuplent ce monde à mi-chemin du rêve et du cauchemar nous entraînent dans un tourbillon à la fois drolatique et effrayant.
Nous avons beau être confrontés à des êtres visiblement en marge de la société, à des environnements décrépits, dénués de tout confort, à un décor et à des accessoires mystérieux dans leur banalité, hors du temps et de l’espace, c’est bien de nous-mêmes que Roger Ballen nous entretient.
Maître d’un jeu dont il serait le seul à connaître toutes les règles et les significations obscures, le photographe apparaît ici comme l’improbable héritier de Beckett et de Ionesco.
Et, au final, toutes et tous nous pouvons bien attendre, ou feindre l’attente. Godot ne viendra pas. Éclat de rire. Rideau.

La presse