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Les murmures de la forêt

Takeshi Shikama

Les mots

Takeshi Shikama n’est venu que tardivement à la photographie, après s’être distingué pendant l’essentiel de sa carrière comme designer.
Pour négocier ce virage déterminant, il aura fallu une rencontre à laquelle rien ne le prédisposait a priori. Lassé du tumulte de Tokyo, il décida il y a une dizaine d’années de s’installer avec son épouse dans une petite maison en bois qu’il construisit lui-même, à proximité d’une forêt située à quelque deux heures au nord-est de la mégapole.
Abattant et débitant des arbres, il fut frappé par leur énergie et comme rattrapé par une croyance japonaise ancestrale: pendant des siècles, on y vénéra les arbres comme des divinités qui renfermeraient le cœur et l’âme des humains.
Depuis, Shikama consacre l’essentiel de son existence à photographier la forêt –les forêts–, y emmenant sa lourde chambre technique et essayant de se laisser guider par les murmures d’un monde en dehors du monde, ce qu’il qualifie de «respiration silencieuse».
Si son pays d’origine a longtemps constitué son territoire de prédilection, le photographe a depuis élargi son champ d’investigation et a confronté son regard non seulement aux parcs naturels de l’Ouest américain, qu’il s’agisse de Yosemite ou de la côte pacifique, mais également à cette «forêt urbaine» qu’est Central Park à New York ou, tout récemment, au Jardin du Luxembourg en plein cœur de Paris.
Shikama ne considère la prise de vue que comme l’étape initiale qui doit mener à un véritable objet photographique et, pour cela, accorde une importance et un soin particuliers à tous les stades du processus qui mèneront au résultat final; en optant pour la chambre technique, il privilégie bien évidemment la richesse des détails qu’autorise le négatif de grand format, mais il a également fait le choix d’effectuer ses tirages au platine-palladium pour donner corps aux nuances les plus subtiles enregistrées sur la pellicule.
Poussant toujours plus loin son souci de perfection, son désir d’arriver à une adéquation idéale entre l’image et son support, il a récemment opté pour des épreuves sur un papier traditionnel japonais, le Gampi, obtenu de manière artisanale et qu’il enduit lui-même de l’émulsion au platine. Les résultats sont proprement époustouflants: l’image finale semble vibrer, comme en suspens, paradoxalement à la fois profonde et d’une infinie légèreté.
Par bien des aspects, l’œuvre de Takeshi Shikama s’affirme comme intemporelle et fait se rejoindre l’est et l’ouest. Imprégnées de la tradition picturale extrême-orientale, ses images toutes de sérénité invitent à la contemplation, voire à la méditation, et dans le même temps elles font constamment référence à l’histoire de la photographie de paysage européenne et nord-américaine, en particulier celle des pionniers du xixe siècle, de Carleton Watkins à Eadweard Muybridge, en passant par Roger Fenton, Charles Nègre ou encore Eugène Atget.

La presse