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À la croisée des chemins

Mark Steinmetz

Les mots

Pour développer sa propre écriture, l’artiste se trouve face à deux options: l’innocence (on pense alors à Bill Traylor) ou l’érudition (idéalement incarnée par Picasso). Hormis ces deux pôles, point de salut. Une culture par trop superficielle mène immanquablement à des redondances, des «à la manière de», de pâles copies sans inspiration. La limitation des connaissances, de la curiosité, donc des référents ne donne lieu qu’à des sous-ceci, des pseudo-cela.
Mark Steinmetz (New York, 1961) fait assurément partie des artistes qui se sont nourris – et se nourrissent encore – de ce qui s’est fait avant eux et se fait toujours aujourd’hui.
Né aux Etats-Unis d’une mère française et d’un père hollandais, Steinmetz a naturellement embrassé le meilleur des deux cultures, l’américaine et l’européenne.
Sa photographie se retrouve dès lors à la croisée des chemins, fruit d’un mariage harmonieux entre le cérébral et le sentimental, entre l’appréhension intellectuelle et la vision romantique du monde.
Distillées au compte-gouttes, à tel point qu’elles n’apparaissent qu’en filigrane à l’œil averti, ses influences sont aussi nombreuses que diverses; on évoquera Stieglitz, Strand, Evans, Friedlander, Winogrand tout autant qu’Atget, Cartier-Bresson, Kertész, Sander ou encore Boubat. Et, bien sûr, les repères ne sont pas que photographiques. Cette œuvre est également littéraire et cinématographique (l’auteur considère d’ailleurs que la photographie et le cinéma sont des formes de littérature).
À l’arrivée, le spectateur est confronté à une vision singulière, à des images qui n’appartiennent qu’à Mark Steinmetz, qui n’auraient pu être réalisées par nul autre que lui.
Outre quelques incursions en Italie et à Paris, l’essentiel de l’œuvre concerne le sud des USA, où le photographe s’est installé il y a longtemps déjà, d’abord à Knoxville (Tennessee) puis à Athens (Géorgie).
S’il est reconnaissable, le Sud de Steinmetz n’est pas celui, souvent idéalisé, que d’autres auteurs de renom, toutes disciplines confondues, nous ont donné à voir. Ce Sud-ci est bien ancré dans le réel. À son propos, Steinmetz dit qu’il l’aime «pour les mauvaises herbes qui poussent dans les fissures de ses trottoirs, pour son humidité et pour son chaos.»
Mark Steinmetz ne procède pas par séries, pas plus qu’il ne s’astreint à des thématiques précises.
L’appareil en bandoulière, il sort de chez lui sans chercher quoi que ce soit de particulier, ouvert à ce que le monde voudra bien lui offrir. Sans idée préconçue mais suffisamment réceptif, attentif, alerte. Il sait qu’il convient de mériter ce qui se présente, pour en tirer le meilleur profit. Et qu’il convient tout autant de posséder les outils – le talent – pour ordonnancer, donner du sens et de la cohérence à ces petits cadeaux de la vie.
C’est donc au gré des rencontres que se bâtit l’œuvre, vue après vue. Des rencontres avec des humains mais aussi avec des maisons, des paysages, des animaux, tous appréhendés comme des sujets – au contraire d’objets –, comme des individus.
L’espace d’un instant, le photographe s’immisce dans leur existence, sans véritable intrusion cependant. Puis chacun poursuit sa route. Entre-temps, dans le meilleur des cas, le charme aura opéré, une image aura surgi, témoin de cette brève et fortuite rencontre.
Et ne nous y trompons pas: cette apparente simplicité requiert la plus grande des maîtrises.

La presse