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Hommages licencieux

Nathalie Amand

Les mots

Jamais entièrement nues mais parées d’accessoires clairement codifiés, certaines des jeunes femmes qui ont posé pour Nathalie Amand (Soignies, 1968) dévoilent leur intimité sans pudeur ni pruderie. Comme un défi aux conventions de la bienséance.
Quelques-unes d’entre elles plongent leur regard dans celui du spectateur, induisant par là même une relation où le rôle de chacun perd un peu de sa définition. Un autre défi, plus audacieux encore. « Je veux bien m’offrir à ton regard et au plaisir que tu en retires – cela me plaît et m’amuse, même – mais sache que je te regarde me regarder… »
D’autres modèles optent pour l’anonymat, tournent le dos à l’objectif, opérant ainsi une distinction fondamentale entre leur corps (leur sexe, plus précisément) et leur identité. Le sujet se dissocie alors de ce qui ferait de lui cet « obscur objet du désir ». Du défi, nous passerions au déni. Troublant, équivoque, ambigu…
Le fait que ces photographies aient été réalisées par une femme change bien évidemment la manière dont nous les appréhendons ; ni exploitation ni domination dans le cas qui nous occupe, personne ne s’est « plié » aux exigences de l’autre. L’artiste et ses modèles sont véritablement complices, à l’écart de tout rapport de force. L’instigateur et premier spectateur de ces saynètes étant en l’occurrence une instigatrice et spectatrice, cela reviendrait-il dès lors à remettre en questions nos préjugés à propos des fantasmes des un(e)s et des autres ?
La réponse tient peut-être dans la distance, dans le second degré qui préside à cette série dont il ne faudrait pas omettre l’aspect ludique.
Lorsqu’elle a entamé ce travail en 1990, Nathalie Amand était encore étudiante et découvrait l’histoire de la photographie. L’heure étant alors au postmodernisme et à son penchant pour la réinterprétation, la jeune photographe a entrepris de revisiter à sa manière plusieurs pages d’une histoire moins attendue que celle des habituels « grands classiques », leur préférant certains de ceux qui opéraient dans les marges et dont les œuvres circulaient plus volontiers sous le manteau que dans les expositions officielles.
Ces Hommages licencieux, outre l’expression d’un désir de renverser les rôles et de revendiquer une liberté des corps, une sexualité affranchie des tabous, constituent une promenade à travers quelques épisodes marquants de la photographie érotique, promenade qui démarre dès les pionniers du 19e siècle : odalisques orientalisantes, « études académiques » dont on sait bien qu’elles se retrouvaient plus souvent dans l’Enfer de bibliothèques bourgeoises que dans l’atelier des peintres, mais aussi clichés plus ouvertement pornographiques comme il s’en produisit dès les premières années d’existence du médium.
Avec une pertinence parfois teintée d’un brin d’humour, Nathalie Amand se réapproprie de la même manière des univers aussi marqués que ceux de Bellmer ou de Molinier, sans oublier la photographie coquine réalisée par des amateurs et destinée par essence à rester dans la sphère privée.
Parcourant des époques et des styles très divers, la photographe a néanmoins réussi à conférer une véritable cohérence à l’ensemble de sa série, chacune des vignettes proposées transcendant son référent pour s’imposer en tant que telle.

La presse