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Lux dubia

Ricky Dávila

Les mots

«Lux dubia», l’expression latine qui donne son titre générique au travail récent de Ricky Dávila (Bilbao, 1964) peut se traduire par «lumière incertaine».
C’est ainsi également que les Romains nommaient la ville andalouse de Sanlucar de Barrameda. Ce port connu depuis l’Antiquité se situe à l’endroit précis où le Guadalquivir se jette dans l’Atlantique et est le théâtre d’un phénomène étrange: au soleil couchant, le mariage du fleuve et de l’océan provoque un scintillement particulier à la surface de l’eau, rendant l’approche et l’accostage des navires malaisé, voire périlleux. L’incertitude est donc alors synonyme de danger…
Revenons-en à la photographie de Dávila, traversée elle aussi par ces deux caractéristiques: le doute et la mise en péril, éléments fondamentaux d’une quête perpétuelle.
Que ressentons-nous face à une situation du réel, à un paysage ou à un détail du quotidien et, surtout, comment pouvons-nous le transcrire pour en garder le souvenir et le partager?
C’est bien de cela qu’il est question ici, et les images de Dávila nous rappellent que rien d’essentiel ne peut se résumer à l’une autre l’autre formule convenue. Ce que nous percevons passe inévitablement par le filtre de nos humeurs, de nos sentiments changeants et, par conséquent, la manière dont nous l’appréhendons et le transmettons revêt des formes elles aussi parfois fort différentes.
Les libertés prises par le photographe par rapport à son médium et à des règles trop strictes tiennent pour beaucoup à son parcours. Passionné d’images – et de littérature, de poésie en particulier – depuis l’adolescence, il se nourrit de l’œuvre de ses illustres aînés: Cartier-Bresson, Winogrand, Friedlander, Frank,…
Après des études de biologie à l’université du Pays basque, il part pour New York où il suit les cours du réputé International Center of Photography. Il y apprend l’exigence, la nécessité d’aller toujours plus loin, au plus profond de ses sujets. Plus tard, il poursuit son apprentissage en devenant l’assistant de Mary Ellen Mark, une expérience qui l’a profondément marqué.
De retour en Espagne, il travaille intensément pour la presse, réalisant portraits et reportages pour les suppléments hebdomadaires des plus grands quotidiens nationaux. Cette activité journalistique lui vaudra plusieurs prix prestigieux et des publications internationales (on se souviendra entre autres de son essai sur les enfants et adolescents victimes de la catastrophe de Tchernobyl et soignés à Cuba). À cette époque, il met également son énergie et son talent au service de la mode et de la publicité.
Après quelques années de collaboration intensive avec la presse et la communication, Dávila s’accommode néanmoins de plus en plus difficilement des contraintes de la photographie appliquée et s’investit dans une pratique plus personnelle, produisant lui-même des essais au long cours dont la finalité sont le livre et l’exposition.
Cela le conduit tout d’abord à Manille, une ville méconnue, fortement métissée, à la constante recherche de son identité, qui pourrait résumer à elle seule ce que seront les mégapoles de demain.
En abordant la capitale des Philippines, Ricky Dávila s’affranchit du documentaire au sens strict, proposant une vision qui s’éloigne radicalement du photojournalisme pour se rapprocher du journal intime. Il s’exprime désormais autant qu’il témoigne.
Entre-temps, son vocabulaire formel s’est enrichi de nouvelles références, d’autres connivences: ses rencontres avec Anders Petersen et Daido Moriyama sont déterminantes, tout comme l’est son amitié avec Alberto García-Alix.
Sa photographie est de plus en plus instinctive, libérée de ces règles et de cette orthodoxie qu’il maîtrise pourtant.
Lorsqu’il entreprend de dresser un portrait de l’Espagne pour Ibérica, il le fait en voyageur plus qu’en autochtone, saisissant les paysages au vol, entr’aperçus plus que contemplés.
Plus récemment encore, il a posé un même regard introspectif sur Odessa et Bogotá, en ramenant des images qui nous en disent plus long sur leur auteur et son rapport au monde que sur les lieux qu’il a traversés.
Ce qu’il ressent prend le pas sur ce qu’il a vu. Et il parvient à chaque fois à partager ses émotions avec le spectateur, tant il est vrai que ce dernier ressent à son tour ce que ces images évoquent plus qu’il ne voit ce qu’elles décrivent.