Les mots
Depuis plus de trente ans qu’il se consacre à la photographie, Michael Kenna ne s’est jamais préoccupé des modes, réalisant inlassablement des images de paysages le plus souvent paisibles qu’il propose au travers de petits tirages argentiques (aux alentours de 20 x 20 cm) toujours effectués par ses soins.
Plus qu’à contre-courant, il navigue hors des courants, poursuivant sa propre logique, son instinct, ne se souciant ni des tendances ni des diktats du marché de l’art.
Cela ne l’empêche pas, bien au contraire, d’être internationalement reconnu et apprécié, exposé, publié, collectionné. S’il se présente lui-même comme une «aberration», il n’est pas pour autant incompris ou mésestimé.
Si Kenna parcourt le monde en tous sens et à longueur d’années – ne s’arrêtant brièvement que pour réintégrer sa chambre noire –, ce n’est pas tant pour le découvrir que pour le photographier, pour incorporer tel ou tel endroit à son propre univers.
Il ne cherche pas plus à le décrire comme peuvent ou ont pu le faire avant lui des photographes documentaires, mais entreprend au contraire de capter et transcrire en images ce qu’il a ressenti face aux lieux où il a choisi de planter sa caméra.
Ce qu’il montre n’est pas ce qu’il a vu ou ce que nous pourrions voir in situ. En privilégiant des moments a priori peu propices à la photographie – l’aube, le crépuscule, voire la nuit – et en recourant à de très longs temps de pose – de quelques secondes à plusieurs heures – Michael Kenna fait en sorte que la pellicule enregistre des phénomènes imperceptibles à l’œil nu: les nuages s’étirent à l’infini, la course des étoiles strie le ciel, la surface de l’eau acquiert une opacité lactée,…
Ses images sont dès lors moins des paysages que des impressions, qu’un sentiment du paysage. En cela, sa vision est résolument celle d’un romantique.
Cette volonté de transcender le réel, Kenna la poursuit par son travail en laboratoire: ici il cherchera à magnifier son sentiment par la mise en lumière du moindre détail; là, à l’opposé, il accentuera les effets de brume, ne laissant apparaître que l’essentiel, ou encore tendra au minimalisme par l’épure radicale, en ne gardant que les valeurs les plus extrêmes, le blanc pur et le noir profond.
Cette exposition – la deuxième que nous dédions à son travail depuis l’ouverture de la galerie – rassemble exclusivement des images réalisées dans les années 2000 et fait écho à la grande rétrospective (quelque 250 photographies) que la Bibliothèque nationale de France lui consacre à Paris (du 12 octobre 2009 au 25 janvier 2010).
On pourra y découvrir des photographies ramenées de Chine, du Brésil, du Vietnam, d’Inde, d’Égypte, mais aussi un bel ensemble sur New York (parfois prétexte à des hommages à de grande figures de l’histoire du médium, comme Stieglitz, Kertész ou encore Berenice Abbott) et, surtout, des vues récentes du Japon.
Depuis le début des années 1990, le photographe entretient en effet une relation privilégiée avec le pays du Soleil levant, auquel il a déjà consacré deux ouvrages, comme si ce territoire, dans toute sa diversité, cristallisait à lui seul l’ensemble de ce qui rejoint ses préoccupations et correspond à son esthétique.
La nature photographiée par Kenna n’est que rarement vierge, mais domestiquée, en tout cas investie par l’homme. Tout en étant physiquement exclu de l’image, l’humain est omniprésent dans le corpus du photographe: du dessin minutieux des jardins zen aux gratte-ciel new-yorkais, des temples aux pyramides de Gizeh, les signes et les traces de son passage sont innombrables. Pas de doute: il habite véritablement le monde qui nous est ici donné à voir.
Cette absence de toute figure humaine permet en outre au spectateur de s’approprier le paysage qu’il contemple, de s’y investir pleinement.
Cette projection est encore facilitée par le petit format des tirages: rien ne s’impose à celui qui regarde mais l’invite à un rapport plus intime.
Les photographies de Michael Kenna ne s’appréhendent pas «en passant», à la sauvette. Elles ne se révèlent qu’au prix d’un effort, d’une disponibilité. Ce n’est que dans ces conditions qu’elles se dévoilent, que leur magie peut opérer.
La rencontre est alors on ne peut plus gratifiante.